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fois il se calma, et quatre fois il se reprit avec la même impétuosité que la première. Don Quichotte s’en donnait au diable, surtout quand il l’entendit s’écrier, par manière de figue, et contrefaisant sa voix et ses gestes. « Apprends, ami Sancho, que je suis né, par la volonté du ciel, dans notre âge de fer pour y ressusciter l’âge d’or : c’est à moi que sont réservés les périls redoutables, les prouesses éclatantes et les vaillants exploits ; » continuant de répéter ainsi les propos que lui avait tenus son maître, lorsqu’il entendit la première fois le bruit des coups de marteau. Voyant donc que Sancho se moquait de lui décidément, Don Quichotte fut saisi d’une telle colère qu’il leva le manche de sa pique, et lui en asséna deux coups si violents que, si l’autre les eût reçus sur la tête aussi bien que sur les épaules, son maître était quitte de lui payer ses gages, à moins que ce ne fût à ses héritiers. Quand Sancho vit que ses plaisanteries étaient payées de cette monnaie, craignant que son maître ne doublât la récompense, il prit une contenance humble et un ton contrit : « Que votre grâce s’apaise ! lui dit-il ; ne voyez-vous pas que je plaisante ? — Et c’est justement parce que vous plaisantez que je ne plaisante pas, répondit Don Quichotte. Venez ici, monsieur le rieur, et répondez. Vous semble-t-il, par hasard, que, si ces marteaux à foulon eussent été aussi bien une périlleuse aventure, je n’avais pas montré assez de courage pour l’entreprendre et la mettre à fin ? et suis-je obligé, par