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Nouvelles, dont le recueil, successivement grossi, ne parut que beaucoup plus tard, entre les deux parties du Don Quichotte. Ainsi, les aventures de deux célèbres voleurs, qui furent arrêtés à Séville en 1569, et dont l’histoire y était encore populaire, lui fournirent la matière de Rinconete y Cortadillo. Le sac de Cadix, où débarqua, le 1er juillet 1596, la flotte anglaise commandée par l’amiral Howard et le comte d’Essex, lui suggéra l’idée de l’Espagnole-Anglaise (la Española Inglesa). Il écrivit également à Seville le Curieux malavisé (el Curioso impertinente), qu’il inséra dans la première partie du Don Quichotte ; le Jaloux Estrémadurien (el Zeloso Estremeño), et la Tante supposée (la Tia fingida), souvenir de son séjour à Salamanque, dont longtemps le titre seul fut connu, et qu’on a retrouvée dernièrement en manuscrit.

Jusqu’à Cervantès, et depuis les guerres de Charles-Quint, qui leur ouvrirent la connaissance de la littérature italienne, les Espagnols s’étaient bornés à traduire les contes licencieux du Décaméron et des imitateurs de Boccace. Cervantès put dire, dans son Prologue :… « Et je me donne pour le premier qui ait écrit des nouvelles en espagnol, car celles en grand nombre qui circulent imprimées dans notre langue sont toutes empruntées aux langues étrangères. Celles-ci sont à moi, non imitées, ni volées ; mon esprit les engendra, ma plume les mit au jour… » Il les nomma Nouvelles exemplaires (Novelas ejemplares), pour les distinguer des contes italiens, et parce qu’il n’en est aucune, comme il le dit lui-même, dont on ne puisse tirer quelque utile exemple. Elles sont en outre divisées en sérieuses (serias) et badines (jocosas). On en compte sept de la première espèce, et huit de la seconde.

M. de Florian, qui veut bien trouver les nouvelles de Cervantès agréables, lui a fait l’honneur d’en arranger deux en français, celle qu’il nomme Léocadie (la Fuerza de la sangre) et le Dialogue des chiens. Il les a traitées précisément comme la Galatée et le Don Quichotte ; et c’est vraiment une pitié que de voir les œuvres d’un si grand génie audacieusement maniées, écourtées et mutilées par un si petit bel-esprit. Comment retrouver, dans les dix pages prétentieuses et décolorées de Léocadie, le récit nerveux et pathétique de la Force du sang ? Comment retrouver, dans la plate conversation de Scipion et de Bergance, vrais roquets de boudoir, ces fines railleries des ridicules humains, et ces leçons de haute moralité qu’échangent entre eux les deux gardiens de l’hôpital de la Résurrection ? Les Nouvelles sont, après le Don Quichotte, le plus beau titre de Cervantès à l’Immortalité. Là se révèlent aussi, sous mille formes variées, la fécondité de son imagination, la bonté de son cœur aimant, la verve de son esprit railleur sans causticité, les ressources d’un style qui se plie à tous les sujets, enfin toutes ces qualités diverses qui brillent au même degré dans la touchante histoire de la