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nations. — En ce cas, reprit Sancho, il doit y en avoir deux ; car voilà que, du côté opposé, s’élève un autre tourbillon. » Don Quichotte se retourna tout empressé, et voyant que Sancho disait vrai, il sentit une joie extrême, car il s’imagina sur-le-champ que c’étaient deux armées qui venaient se rencontrer et se livrer bataille au milieu de cette plaine étendue. Il avait, en effet, à toute heure et à tout moment, la fantaisie pleine de batailles, d’enchantements, d’aventures, d’amours, de défis et de toutes les impertinences que débitent les livres de chevalerie errante, et rien de ce qu’il faisait, disait ou pensait ne manquait de tendre à de semblables rêveries.

Ces tourbillons de poussière qu’ils avaient vus étaient soulevés par deux grands troupeaux de moutons qui venaient sur le même chemin de deux endroits différents, mais si bien cachés par la poussière qu’on ne put les distinguer que lorsqu’ils furent arrivés tout près. Don Quichotte affirmait avec tant d’insistance que c’étaient des armées, que Sancho finit par le croire. « Eh bien, seigneur, lui dit-il, qu’allons-nous faire, nous autres ? — Qu’allons-nous faire ? reprit Don Quichotte, porter notre aide et notre secours aux faibles et aux abandonnés. Or, il faut que