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casion qu’aient vue les siècles passés et présents, et qu’espèrent voir les siècles à venir… et comme des étoiles qui doivent guider les autres au ciel de l’honneur.

Don Juan aurait voulu, poursuivant sa victoire, emporter les châteaux de Lépante et de Sainte-Maure, et bloquer les Turcs dans les Dardanelles ; mais la saison avancée, le manque de vivres, le grand nombre de blessés et de malades, enfin les ordres exprès de son frère Philippe, l’obligèrent à regagner Messine, où il entra le 31 octobre. Les troupes furent distribuées en divers quartiers d’hiver, et le tercio de Moncada s’établit dans le midi de la Sicile. Pour Cervantès, à la fois malade et blessé, il ne put quitter Messine, et resta six mois environ dans les hôpitaux de cette place. Don Juan d’Autriche, qui lui avait témoigné un vif intérêt dès le lendemain du combat, lorsqu’il visita les divers corps de l’armée navale, ne l’oublia point dans ce triste asile. On trouve la mention de petits secours pécuniaires qu’il lui fit donner par l’intendance (pagaduria) de la flotte, sous les dates des 15 et 23 janvier, 9 et 17 mars 1572. Enfin, lorsque Cervantès fut rétabli, un ordre du généralissime, adressé, le 29 avril, aux officiers payeurs (oficiales de cuenta y razon) attribua une haute paie de trois écus par mois au soldat Cervantès, qui passa dans une compagnie du tercio de Figueroa.

La campagne qui suivit celle de Lépante fut loin de répondre aux grands résultats qu’on en attendait. Pie V, l’âme de la ligue, venait de mourir ; les Vénitiens, atteints dans les intérêts de leur commerce du Levant, s’étaient déjà refroidis ; l’Espagne se trouva presque seule engagée contre les Turcs, qui, soutenus par la diversion que faisait la France en leur faveur contre le roi catholique, l’année même de la Saint-Barthélemi, en menaçant la Flandre espagnole, avaient fait de grands préparatifs, et menaçaient à leur tour les côtes de Sicile. Cependant Marc-Antoine Colona mit à la voile le 6 juin pour l’Archipel, avec une partie de la flotte confédérée, entre autres les trente-six galères du marquis de Santa-Cruz, où se trouvaient la compagnie du tercio de Figueroa, dans laquelle était entré Cervantès. Don Juan d’Autriche partit, le 9 août, avec le reste de la flotte ; mais les deux escadres passèrent à se chercher vainement une partie de la saison ; puis, quand elles furent enfin réunies au mois de septembre, elles perdirent, par la faute des pilotes, l’occasion d’attaquer avec avantage la flotte des Turcs, qui avaient imprudemment divisé leurs forces dans les ports de Navarin et de Modon. Après une vaine tentative d’assaut contre le château de Navarin, Don Juan fut obligé de rembarquer ses troupes, et de regagner, au commencement de novembre, le port de Messine. Cervantès raconte longuement, dans l’histoire du Capitaine captif, les détails de cette infructueuse campagne de 1572, à laquelle il avait pris part.

Philippe II, cependant, n’abandonnait pas encore ses desseins. Il voulait réunir, pour le printemps de l’année suivante, jusqu’à trois cents galères à