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qu’elle vienne panser mes blessures. — Hein ! s’écria aussitôt la gouvernante, qu’est-ce que j’ai dit ? est-ce que le cœur ne me disait pas bien de quel pied boitait mon maître ? Allons, montez, seigneur, et soyez le bien-venu, et sans qu’on appelle cette Urgade, nous saurons bien ici vous panser. Maudits soient-ils, dis-je une autre et cent autres fois, ces livres de chevalerie qui ont mis votre grâce en ce bel état ! » On porta bien vite Don Quichotte dans son lit ; mais quand on examina ses blessures, on n’en trouva aucune. Il leur dit alors : « Je n’ai que les contusions d’une chute, parce que Rossinante, mon cheval, s’est abattu sous moi, tandis que je combattais contre dix géants, les plus démesurés et les plus formidables qui se puissent rencontrer sur la moitié de la terre. — Bah, bah ! dit le curé, voici des géants en danse ! Par le saint dont je porte le nom, la nuit ne viendra pas demain que je ne les aie brûlés. » Ils firent ensuite mille questions à Don Quichotte ; mais celui-ci ne voulut rien répondre, sinon qu’on lui donnât à manger, et qu’on le laissât dormir, deux choses dont il avait le plus besoin. On lui obéit. Le curé s’informa tout au long, près du paysan, de quelle manière il avait rencontré Don Quichotte. L’autre raconta toute l’histoire, sans omettre les extravagances qu’en le trouvant et en le ramenant il lui avait entendu dire. C’était donner au licencié plus de désir encore de faire ce qu’en effet il fit le lendemain, à savoir, d’aller appeler son ami le barbier maître Nicolas, et de s’en venir avec lui à la maison de Don Quichotte…