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bras, et tombai, toujours le portant, au beau milieu de Madrid. Là, avec les facilités qu’on y trouve d’ordinaire, en peu de jours je tirai les entrailles du ventre de mon sac, et le laissai plié en plus de doubles qu’un mouchoir de nouveau marié. Celui qui était chargé de l’argent courut après moi ; on m’arrêta, je ne trouvai pas grande faveur ; cependant, voyant mon jeune âge, ces messieurs se contentèrent de me faire approcher du poteau, puis émoucher quelque peu les épaules, et de m’exiler pour quatre ans de la capitale. Je pris patience, je pliai les reins pour recevoir la volée correctionnelle, et me hâtai tellement d’exécuter la sentence d’exil, que je n’eus pas le temps de chercher une monture. J’ai pris de mes nippes ce que j’en pouvais emporter, et ce qui me parut le plus nécessaire, entre autres ces cartes (en même temps il montra celles qu’on a dit qu’il portait dans son collet), avec lesquelles, en jouant au vingt-et-un, j’ai gagné ma vie, par les hôtelleries et les auberges qu’on trouve de Madrid jusqu’ici. Bien que votre grâce les voie si sales et si maltraitées, elles ont, pour celui qui sait s’en servir, une vertu merveilleuse : c’est qu’on ne coupe pas sans laisser un as par-dessous. Si votre grâce est versée dans la connaissance de ce jeu, vous verrez quel avantage c’est de savoir qu’on a sûrement un as pour la première carte, lequel peut servir tantôt d’un point, tantôt de onze. Avec cet avantage, quand le vingt-et-un est engagé, l’argent reste à la maison. Outre cela, j’ai appris du cuisinier d’un certain ambassadeur certains tours de quinela et de lansquenet, et, de même que votre grâce peut être examinée pour la coupe de ses guêtres, moi je puis me faire recevoir