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son goujat, trente réaux, et je ne lui en envoyai que vingt-quatre. Et je prie le Ciel que la peine qu’ils m’ont coûté à les gagner vienne un jour en déduction de mes péchés. Si bien qu’en récompense de cette courtoisie et de cette bonne œuvre, comme il crut que je lui soufflais quelque chose de ce qu’il se figurait en son imagination que je pouvais avoir, ce matin il m’a menée aux champs, plus loin que le Jardin du roi ; là, derrière des oliviers, il m’a déshabillée toute nue, et avec sa ceinture de cuir, sans en ôter la boucle en fer (que ne puis-je le voir dans les fers et les chaînes ! ), il m’a donné tant de coups, qu’il m’a laissée pour morte. De cette véritable histoire, voilà des marques et des contusions qui sont de bons témoins. » Ici la fille recommença à demander justice, et Monipodio à la lui promettre, ainsi que tous les braves qui se trouvaient là.

La Gananciosa prit à tâche de la consoler. « Je donnerais bien volontiers, lui dit-elle, une de mes meilleures nippes, pour qu’il m’en fût arrivé autant avec mon bon ami ; car il faut que tu saches, ma sœur Cariharta, si déjà tu ne le sais, que celui qui aime bien châtie bien. Quand ces vauriens nous donnent des taloches et des horions, c’est qu’ils nous adorent. Sinon, dis la vérité, par ta vie : n’est-il pas vrai qu’après t’avoir battue et meurtrie, le Ripolido t’a fait quelque caresse ? — Comment quelqu’une ! répondit la pleureuse ; il m’en a fait cent mille. Il aurait donné un doigt de sa main pour que je le suivisse à son logis ; et je crois même que les larmes lui sont presque venues aux yeux après qu’il m’eut bien rossée. — II n’en faut pas douter, repartit la Ganan-