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s’il vous faut à boire, ma mère ! » s’écria la Escalanta (ainsi s’appelait la compagne de la Gananciosa) ; puis, découvrant le panier, elle mit en évidence une outre, à la façon de celles qu’on fait de deux peaux de bouc, pleine d’au moins trente pintes de vin, et une tasse en liége qui pouvait tenir paisiblement et sans effort jusqu’à deux bouteilles. La Escalanta remplit la tasse et la remit à la dévote vieille, qui la prit à deux mains, souffla un peu d’écume, et s’écria : « Tu en as versé beaucoup, ma fille Escalanta ; mais Dieu me donnera des forces ; » puis, appliquant la tasse à ses lèvres, d’un trait et sans reprendre haleine, elle se versa tout dans l’estomac. Quand elle eut fini : « Il est de Guadalcanal, dit-elle, ce petit monsieur, et même il empâte un peu la bouche. Dieu te console, ma fille, comme tu m’as consolée. Mais seulement j’ai peur qu’il ne me fasse mal, parce que je suis encore à jeun. — Non, mère, il n’en fera rien, reprit Monipodio, car il a pour le moins ses trois ans. — Je l’espère en la sainte Vierge, » répliqua la vieille. Puis, elle ajouta : « Voyez donc, petites filles, si vous auriez par hasard quelques maravédis pour acheter les cierges de ma dévotion ; je me suis si pressée d’apporter les nouvelles du panier à lessive, que j’ai oublié à la maison mon escarcelle. — Oui, j’en ai, dame Pipota (c’était le nom de la bonne vieille), répondit la Gananciosa ; tenez, voici deux cuartos ; avec l’un, je vous prie d’acheter un cierge pour moi, et de l’offrir au seigneur saint Michel ; si vous pouvez en acheter deux, vous mettrez l’autre au seigneur saint Blaise : ce sont mes avocats. Je voudrais encore que vous en missiez un autre à madame sainte Lucie,