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brun de visage, les sourcils joints, la barbe noire et très-épaisse, les yeux enfoncés. Il venait en chemise, et, par la fente de devant, il laissait voir une forêt, tant il avait de poil sur la poitrine. Il était couvert d’un manteau de serge qui lui tombait presque jusqu’aux pieds, lesquels étaient chaussés de souliers mis en pantoufles. Des chausses en toile, longues, larges et plissées, lui couvraient les jambes jusqu’aux chevilles. Son chapeau était à la bravache[1], de forme renflée et de bords étendus. De ses épaules et sur sa poitrine descendait un baudrier de cuir, d’où pendait une épée large et courte, à la manière de celles du petit chien[2]. Ses mains étaient courtes et velues, les doigts gros, les ongles épatés. On ne voyait pas ses jambes sous les chausses, mais ses pieds étaient d’une largeur démesurée, avec de gros os saillants. Finalement, il représentait le barbare le plus rustique et le plus difforme du monde.

L’introducteur des deux nouveaux venus descendit avec lui, et, les prenant par la main, il les présenta à Monipodio. « Voici, dit-il, les deux bons enfants dont j’ai parlé à votre grâce, seigneur Monipodio. Que votre grâce les désamine, elle verra comme ils sont dignes d’entrer dans notre congrégation — Je le ferai très-volontiers, » répondit Monipodio. J’avais oublié de dire qu’au moment où Monipodio parut, tous ceux qui l’attendaient lui firent une longue

  1. De los bravos de la hampa, nom qu’on donnait aux bravi d’Andalousie.
  2. Ce petit chien était la marque d’un célèbre fournisseur de Tolède, appelé Julian del Rey, et Morisque de naissance.