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craint et respecté, viendrait demander compte à l’insolent de son indiscrétion. Et qu’il prenne garde : le vieux Yotsu a la morgue de ses ancêtres, il porte deux sabres à la ceinture, et l’art le plus savant de l’escrime n’a rien qu’il ignore.

Justement la route poudreuse bordée de roses cerisiers en fleurs passe le long du yé ; souvent les voyageurs, parvenus ainsi au sommet de la côte s’arrêtent, autant pour reprendre haleine que pour jeter un regard sur le beau pays qu’ils ne se lassent pas d’admirer. Et quelquefois un poète enthousiaste jette au vent quelques vers de Marasaki-Shikiribou…

II

Ce matin-là, Nézumi, la petite servante de Yotsu, venait de tirer les shoji, et elle aperçut la terre toute couverte d’une couche légère de corolles roses et blanches, à tel point qu’on ne distinguait plus le sol, devant les marches de bois laqué noir.

— Oh ! dit-elle, le vilain vent ! et la vilaine pluie qui ont fait tomber les fleurs des cerisiers !

Et elle reprit, avec un regret d’abîmer ce doux tapis immaculé :

— Où jetterai-je ce marc de thé ?

Elle réfléchit un instant, puis elle s’avança sur la terrasse extérieure de la maison et, avec un geste insouciant, elle lança sur la route le contenu du plateau qu’elle tenait à la main.

— Baka ! Berabo !… cria une voix irritée. Voilà mon beau vêtement neuf tout gâté.

Baka !… Berabo !… Voilà mon beau vêtement neuf tout gâté.

Nézumi tendit la tête en dehors et aperçut, en compagnie d’un samuraï à deux sabres, un beau jeune homme richement habillé, un daïmio sans doute et sur qui elle venait de jeter son thé. L’aventure était certes désagréable et la petite servante était trop bonne pour se montrer satisfaite de sa maladresse. Mais la victime avait pris un air si piteux que Nézumi ne put s’empêcher de rire, la folle !