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la forêt enchantée.

— Mais non, mais non ! Je n’aime rien tant que les belles fleurs, les beaux chrysanthèmes, les étoffes brillantes, couvertes d’or et de soie, les pierres précieuses et les perles. Mon époux m’en donne, à chaque métamorphose, tant que j’en puis vouloir ; après, je passe mon temps à les regarder, à jouer, à me parer, à assortir les couleurs et les perles, à tout admirer. Il ne m’en faut pas plus, je t’assure ; je vis de contemplation et d’espérance !

Kamô sourit à cet enfantillage bien féminin.

— Mais, dis-moi, reprit-il, ce petit réduit si coquet ne communique évidemment pas avec le lac. Tu restes donc séparée de ton époux pendant tout le temps de son enchantement ?

— Les parois de ce petit palais sont de verre, comme tu peux le voir, et les eaux du lac l’entourent. De temps à autre, mon mari vient me rendre visite à travers la vitre ; je lui souhaite la bienvenue, de la main, et je l’encourage à la patience. Par exemple, s’il t’apercevait ici nous serions perdus tous les deux. Il briserait la frêle prison où je vis et on n’entendrait plus parler de nous. Mon Dieu ! n’est-ce pas justement lui qui arrive là-bas ? s’écria Gamawuki avec terreur. Oui, vois ce bouillonnement !

Avant que Kamô eût rien vu, il était renversé par la frêle main de sa sœur, dont l’angoisse doublait les forces, et en même temps un paravent aux mille couleurs fut déployé devant lui. Il resta blotti dans cette retraite, tout étourdi de ce qui lui arrivait, s’attendant à une catastrophe.

Fort heureusement, le poisson ne l’avait pas aperçu. Mais il se doutait de quelque incident inaccoutumé sans doute, ou bien l’effroi que Gamawuki ne parvenait pas à dissimuler le mettait sur ses gardes, car il demeura pendant fort longtemps devant le vitrage, venant renifler silencieusement avec sa bouche gigantesque, d’un air grognon.


Le poisson demeura longtemps devant le vitrage.

Lasse de lui faire des gestes d’amitié, Gamawuki s’était assise au pied du paravent, près de son frère, et brodait tranquillement.