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PRÉFACE

année entière pour dessiner, six ans pour apprendre les travaux les plus matériels et grossiers, et six ans encore pour colorer, orner de mordants, faire des draperies d’or et s’habituer au travail sur mur. Je crois que l’ancienne tradition des maîtres se conservait parmi les élèves, à cause du soin minutieux que l’on mettait à leur apprendre peu à peu la pratique des moyens matériels. De là, une boutique de peintre devait être d’un accès difficile à tous ceux qui n’étaient pas initiés dans l’école, et là non-seulement se conduisaient les ouvrages sous le rapport du dessin et de la couleur, mais on y préparait aussi toutes ces choses qui à présent sont abandonnées aux arts qui viennent au secours de la peinture.

Pour cette raison, nous ne devons pas nous étonner de voir notre auteur employer les deux chapitres xn et xiv à enseigner comment s’effacent avec la mie de pain les traits faits au crayon de mine de plomb et comment on doit tailler les plumes ; il fait rétrograder la pensée vers l’enfance de la peinture, et nous rappelle qu’alors les artistes jaloux s’enveloppaient de mystère. Pour confirmer cette opinion, je citerai quelques passages de ce livre. Au chap. x, par exemple, Cennino dit : « Le cinabre est une couleur qui se fait par alchimie, travaillée dans l’alambic. Si tu veux t’en donner la peine, tu en trouveras bien des recettes différentes, surtout chez les frères… » Au chap. xliv, en parlant de la laque, il dit que c’est une couleur artificielle. Il y a plusieurs recettes pour la faire. Et au chap. lxii, où il parle de la façon de faire le bleu d’outremer, il recommande d’en garder le secret : « Tiens-le pour toi, il y a un singulier mérite à le savoir bien faire. » Je crois aussi que Cennino lui-même ignorait bien des choses relatives à l’origine et la nature des couleurs, et que pour cela souvent il évite d’en parler et envoie plus vite le lecteur en acheter de toute faite. Au chap. xlvi, en parlant de la couleur dite giallorino, il démontre évidemment qu’il n’en connaissait pas la fabrication et n’en jugeait que par le poids. « Et je crois, dit-il, que cette couleur est une vraie pierre trouvée dans des parties arides de