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je vis entrer dans ma chambre un homme tortu comme un S majuscule, qui se mit à me dire d’une voix aussi piteuse et aussi lamentable que celle des gens qui annoncent aux condamnés leur dernière heure : — « Hélas ! Benvenuto, votre travail est perdu, et il n’y a plus de remède au monde ! » — Aux paroles de ce malheureux, je poussai un si terrible cri, qu’on l’aurait entendu du septième ciel. Je me jetai à bas du lit, je pris mes habits et commençai à me vêtir en distribuant une grêle de coups de pied et de coups de poing à mes servantes, à mes garçons et à tous ceux qui venaient pour m’aider. « Ah ! traîtres ! ah ! envieux ! leur criais-je en me lamentant, c’est une trahison préméditée ; mais je jure Dieu que je saurai à quoi m’en tenir et qu’avant de mourir je prouverai qui je suis, et de telle façon, que plus d’un en sera épouvanté. »

Lorsque j’eus achevé de m’habiller, je me rendis, l’esprit bouleversé, dans mon atelier, où je trouvai stupéfaits et comme abrutis tous ces gens que j’avais laissés si joyeux et si pleins de courage. — « Or çà, leur criai-je, écoutez-moi, et, puisque vous n’avez pas su ou voulu suivre les instructions que je vous avais données, obéissez-moi, maintenant que me voilà pour présider à mon œuvre. Que pas un ne raisonne, car, dans de telles circonstances, il faut des bras et non des conseils. » — Un certain maestro Alessandro Lastricati[1] me répondit : — « Voyez, Benvenuto, vous voulez aborder une entreprise contre toutes les règles de l’art et dont la réussite est impossible. » — À ces mots, je me retournai vers lui avec tant de fureur et avec un air qui indiquait si bien que j’étais résolu à faire un mauvais coup qu’Alessandro et tous les autres s’écrièrent à la fois : — « Là ! là ! commandez : nous obéirons à tous vos ordres

  1. Cet Alessandro Lastricati est probablement purent du sculpteur et fondeur Zanobi Lastricati, lequel présida à la cérémonie des obsèques de Michel-Ange. — Voyez Vasari, Vie de Michel-Ange, t. V, p. 230 et 237.