Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque résolu à faire un saut et à prendre ma course, lorsque Luigi, qui avait le bras passé autour du cou de Pantasilea, lui dit : — « Je t’embrasserai pourtant en dépit de ce traître de Benvenuto. »

Doublement aiguillonné par les épines et par les discours de l’impudent jeune homme, je m’élançai hors de la haie, et je tirai mon épée en criant : — « Vous êtes tous morts ! » — Mon arme frappa sur l’épaule de Luigi, mais, comme les vilains satyres qui le protégeaient l’avaient bardé de fer et de cottes de mailles, le coup, qui était très-violent, glissa et alla atteindre Pantasilea au nez et à la bouche. Elle tomba à terre avec son galant. Le Bacchiacca se mit alors à fuir, avec ses chausses à mi-jambes et en jetant les hauts cris. Quant à moi, j’avais hardiment fait face à mes adversaires, lorsque ces braves, ayant entendu un grand bruit partir de la taverne, s’imaginèrent qu’il y avait là une armée de cent personnes. Ils avaient néanmoins résolument mis le fer au poing, mais deux chevaux s’étant effrayés causèrent un tel désordre, que deux des meilleurs cavaliers furent désarçonnés, et que les autres prirent la fuite. Ayant vu que l’affaire tournait ainsi à bien, je décampai lestement, heureux d’en être sorti à mon honneur, et sans vouloir tenter la fortune plus que de raison. Dans ce terrible hourvari, quelques-uns des soldats et des capitaines s’étaient blessés eux-mêmes avec leurs épées. Le camérier du pape, messer Benvegnato, avait été renversé et foulé aux pieds par son propre mulet ; de plus, un de ses valets, qui avait tiré son épée, tomba avec lui et le blessa grièvement à la main ; aussi messer Benvegnato jurait-il plus que tous les autres, en disant, dans son jargon pérugin : — « Per lo corpo di Dio ! je veux que Benvegnato enseigne à vivre à Benvenuto. » — En conséquence, il me députa un de ses capitaines, peut-être plus hardi que les autres, mais trop jeune pour posséder le même aplomb.