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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

À la fin, désespérant du succès, il partit à toutes jambes, après avoir juré de revenir avec une bande d’Espagnols, pour me couper en morceaux. Pendant ce temps, moi, qui ajoutais quelque peu foi à leurs assassinats, je me promis de me défendre valeureusement, et je préparai mon excellente escopette de chasse, en me disant à moi-même : — « Puis-je encore céder ma vie à celui qui s’empare de mon bien et du fruit de mon travail ? » — Je ruminais ainsi, lorsque apparut une troupe d’Espagnols avec le majordome, qui, avec cette insolence qu’on ne rencontre qu’en Espagne, leur ordonna d’entrer chez moi, de prendre le vase et de m’appliquer la bastonnade. À ces mots je leur montrai la gueule de mon escopette et sa mèche allumée, en leur criant à haute voix : — « Bandits ! traîtres ! est-ce ainsi qu’on pille les maisons et les boutiques des citoyens de Rome ? Pas un de vous, voleurs, n’approchera de cette porte, sans que je le tue avec cette escopette ! » — Puis, dirigeant le canon de mon arme vers le majordome, prêt à faire feu, je lui dis : — « Et toi, brigand, qui les excites, je veux que tu meures le premier ! » — Aussitôt, il donna de l’éperon à un genet qu’il montait, et s’enfuit ventre à terre. Tous les voisins accoururent à ce tapage, et quelques gentilshommes romains qui passaient me crièrent : — « Tue-les, ces chiens, tue-les, nous t’aiderons ! » — Ces paroles furent d’un tel effet, que le reste de la troupe, en proie à une terrible panique, suivit l’exemple du majordome. On fut forcé de raconter à monseigneur ce qui c’était passé ; cet homme hautain réprimanda vertement ses gens, tant pour s’être laissés aller à de tels actes de violence, que pour n’avoir point été jusqu’au bout après avoir commencé. Dans ces entrefaites, survint le peintre qui avait pris part au commencement de l’affaire. Monseigneur le chargea de me dire, de sa part, que, si je ne lui portais pas le vase à l’instant, mes oreilles seraient le plus grand morceau qui