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Ces paroles me mécontentèrent vivement, et je me mis à maudire l’Espagne et tous ceux qui lui voulaient du bien. Ce vase avait, entre autres beaux ornements, une anse d’une seule pièce, d’un travail extrêmement délicat, laquelle, au moyen d’un ressort, se maintenait droite au-dessus de l’orifice. Un jour, le monsignore ayant montré mon vase, par vanité, à quelques-uns de ses gentilshommes espagnols, il arriva que l’un d’eux, après le départ de l’évêque, saisit l’anse avec si peu de ménagement, que le ressort ne put résister à sa force brutale et se brisa entre ses doigts. Honteux de sa maladresse, il pria l’argentier de le porter sur-le-champ à l’orfèvre qui l’avait fait, en lui promettant tout ce qu’il exigerait pour qu’il le réparât sans retard. Le vase se retrouva donc entre mes mains. Je m’engageai à le raccommoder avec célérité, et je tins ma promesse. On me l’avait remis avant mon dîner. À la vingt-deuxième heure, celui qui me l’avait laissé arriva, tout en sueur, tant il avait couru, parce que le monsignore lui avait de nouveau demandé le vase, pour le montrer à d’autres gentilshommes. — « Vite, vite, apporte le vase ! » — me répétait incessamment l’argentier, sans me permettre de proférer un mot. Moi, qui n’entendais ni me dépêcher, ni le lui rendre, je lui dis que je ne voulais point aller vite. Il entra alors dans une telle fureur, qu’il fit mine de tirer son épée d’une main, et de l’autre de forcer ma boutique. Mais je l’arrêtai, l’arme au poing, et lui dis hardiment : — « Je ne veux pas te le donner ! va dire à monseigneur, ton maître, que j’exige le prix de mon travail avant qu’il sorte de ma boutique. » — Ayant vu que ses bravades n’avaient rien obtenu, il se mit à me prier, comme on prie la croix du Rédempteur, en me certifiant que, si je le lui donnais, il s’emploierait si bien pour moi, que je serais payé. Ces paroles n’ébranlèrent aucunement ma résolution, et je continuai à lui répéter la même chose.