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Lorsqu’on lui eut répondu affirmativement, il ajouta qu’il voulait que je fisse partie de ses musiciens. — « Très-saint Père, lui dit Gianiaoomo, je ne puis me flatter de l’attacher à votre service, parce que sa véritable profession est l’orfèvrerie. Il excelle dans cet art, et il en tire plus de profit que ne lui en donnerait la musique. » — « Je désire d’autant plus l’avoir, répondit le pape, qu’il possède un talent que je ne lui soupçonnais pas. Veille à ce qu’il ait le même traitement que vous autres, et dis-lui de ma part qu’il entre à mon service et que je ne le laisserai pas manquer de travail dans son autre profession. » — Le pape remit ensuite à Gianiacomo cent écus d’or renfermés dans un mouchoir, et lui dit : — « Distribue-les de façon qu’il en ait sa part. » — Gianiacomo prit congé du pape, vint vers nous et nous répéta ponctuellement toutes les paroles de sa Sainteté ; puis il divisa l’argent entre huit que nous étions, et me dit en me donnant ma part : — « Je vais te faire inscrire au nombre de nos camarades. » — « Laissez passer aujourd’hui, lui repartis-je, demain vous aurez ma réponse. » — Sur ce, je les quittai, en examinant s’il fallait accepter cette offre qui menaçait de m’être si préjudiciable, en me détournant des études de mon art. La nuit suivante, mon père m’apparut en songe. Les larmes aux yeux, il me priait, pour l’amour de Dieu et de lui, de prendre la place que l’on me proposait. Il me semblait que je ne lui répondais que par le refus le plus absolu. Alors, je crus le voir revêtir une figure qui me frappa de terreur, et il me cria : — « Si tu n’acceptes pas, tu auras la malédiction paternelle ; si tu acceptes, je te bénirai éternellement. » — M’étant éveillé, je courus de suite, dans mon épouvante, me faire inscrire. J’en informai mon vieux père, à qui l’excès de la joie causa une maladie qui faillit être mortelle. Dès qu’il fut guéri, il m’écrivit que lui aussi avait eu un songe presque semblable au mien.