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ouvrage dans son genre ne le cédait point au sien, je me flattais de lui en faire voir la récompense.

Le jour suivant, madonna Porzia envoya à la boutique son majordome. Il m’appela dehors, et me remit un cornet plein d’écus, de la part de sa maîtresse, en me disant, avec force paroles courtoises dignes de la signora, qu’elle ne voulait pas que le diable pût rire, et que l’argent qu’elle m’envoyait n’était pas l’entier payement de ce que méritait mon travail.

Lucagnolo brûlait du désir de comparer son cornet au mien. Dès que je fus rentré dans la boutique, où se trouvaient douze ouvriers et plusieurs voisins qui étaient curieux de connaître le résultat du défi, Lucagnolo prit son cornet, rit d’un air moqueur, poussa trois ou quatre ouf ! ouf ! triomphants, et versa avec grand fracas sur le comptoir vingt-cinq écus en jules. Il pensait que j’avais tout au plus quatre ou cinq écus en monnaie.

Étourdi par les cris, par les regards et par les rires des assistants, je jetai un timide coup d’œil dans mon cornet ; je n’y aperçus que de l’or. Alors, les yeux baissés et sans souffler mot, j’élevai à deux mains mon cornet au-dessus de ma tête, et je laissai tomber mon argent sur le comptoir, comme d’une trémie de moulin. J’avais une somme moitié plus forte que celle de Lucagnolo : aussi tous les spectateurs, qui jusqu’alors tenaient leurs regards braqués sur moi avec dédain, se tournèrent-ils vers mon adversaire, en lui disant : — « Lucagnolo, les écus de Benvenuto font mieux à l’œil que les tiens, car ils sont d’or et moitié plus nombreux. »

Je crus que, de rage et de honte, Lucagnolo allait tomber mort sur le coup. Il avait droit au tiers de mon argent (en vertu de l’usage qui attribue les deux tiers du prix de la main-d’œuvre à l’ouvrier, et l’autre tiers au maître de la boutique) ; mais l’envie l’emporta chez lui sur l’avarice,