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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

n’avais vu un plus beau vase. Croyant qu’il m’avait amené à reconnaître qu’il avait raison, il me répondit : — « Ton joyau ne me semble pas moins beau, mais bientôt nous verrons la différence qu’il y a entre eux. » — Sur ce, il prit son vase et le porta à Clément VII. Le pape en fut satisfait, et ordonna qu’on lui payât de suite le prix que l’on donne ordinairement pour les ouvrages de cette sorte.

Pendant ce temps, je portai mon lis à madonna Porzia. Elle me dit, tout émerveillée, que j’avais dépassé de beaucoup mes promesses ; que j’étais libre d’exiger tout ce que bon je jugerais ; qu’un château lui semblait un prix à peine digne de mon mérite, et que dans l’impossibilité où elle était de me le donner, ajouta-t-elle en riant, elle me priait de lui demander quelque chose qui fût en son pouvoir. Je lui répondis que si sa seigneurie était satisfaite, j’avais obtenu le plus haut prix de mon travail que j’eusse ambitionné. Je lui fis une révérence, et lui affirmai en riant que je ne voulais point d’autre récompense. Madonna Porzia, se tournant alors vers son amie, lui dit : — « Voyez-vous qu’à son talent s’allient non les vices, mais les vertus que nous lui avions avec raison supposées ? »

« Benvenuto mio, ajouta-t-elle, n’as-tu jamais entendu dire que le diable rit quand le pauvre donne au riche ? » — « Le diable, répliquai-je, a tant de chagrin, que je veux le voir rire une fois. » — Je me retirai, pendant qu’elle se hâtait de me dire qu’elle se refusait à lui octroyer cette grâce.

Lorsque j’arrivai à la boutique, Lucagnolo tenait un cornet renfermant l’argent qui lui avait été remis pour prix de son vase. — « Compare un peu, me dit-il, ce que tu as reçu pour ton joyau avec ce que j’ai eu pour mon vase. » — Je le priai de conserver son cornet intact jusqu’au lendemain, et j’ajoutai que si, comme je l’espérais, mon