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gna le plus ardent désir de voir le bassin et l’aiguière ; mais je refusai de contenter sa curiosité. — M’étant obstiné à ne point céder à ses instances, il déclara qu’il allait se rendre chez le duc, et que, par le moyen de Son Excellence, il arriverait bien à se satisfaire. Messer Alberto Bendedio, qui, comme je l’ai déjà dit, était très-hautain, s’écria alors : — « Avant que vous ne partiez d’ici, messer Alfonso, vous verrez ces ouvrages, sans avoir besoin de la protection du duc. » — À ces mots, je me retirai, et je laissai le soin de les déballer à Ascanio et à Pagolo. Ces jeunes gens me rapportèrent ensuite que mes gentilshommes avaient beaucoup vanté mon talent. Messer Alfonso voulait même se lier intimement avec moi : aussi étais-je impatient de sortir de Ferrare et de m’éloigner de ces importuns. Les seules personnes agréables que je rencontrai dans cette ville furent le cardinal Salviati, le cardinal de Ravenne et quelques musiciens de distinction. En effet, les Ferrarais sont d’une avarice et d’une rapacité extrêmes, et ne reculent devant rien pour s’emparer du bien d’autrui : ils sont tous ainsi.

Vers la vingt-deuxième heure, le Fiaschino m’apporta le diamant de soixante écus dont j’ai parlé plus haut. En me le remettant, il me dit brièvement, et avec une mine piteuse, de le garder pour l’amour de Son Excellence. — « Je n’y manquerai pas. » — lui répondis-je, et, en sa présence même, je montai à cheval et je partis. Il prit note de mes gestes, de mes paroles, et en rendit compte au duc, qui, dans sa colère, fut fortement tenté de me forcer à revenir sur mes pas. Ce soir-là je fis plus de dix milles, toujours en trottant.

Le lendemain, j’éprouvai un indicible plaisir quand je me trouvai hors du Ferrarais ; car, à l’exception de ces jeunes paons que j’y mangeai, et qui me rappelèrent à la santé, je n’y rencontrai rien de bon.