Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitter Ferrare sans son consentement ; puis il commanda à messer Giliolo de me donner un diamant de trois cents écus. L’avare trésorier en trouva un qui passait de peu soixante écus, et il prétendit qu’il en valait plus de deux cents.

Pendant ce temps, messer Alberto Bendedio était devenu raisonnable et m’avait pourvu de tout ce que j’avais demandé. J’avais résolu de partir ce jour-là même, quoi qu’il pût m’en coûter ; mais le rusé camérier du duc s’était arrangé avec messer Alberto pour que je n’eusse point de chevaux. J’avais chargé un mulet d’une grande partie de mes bagages, parmi lesquels étaient emballés le bassin et l’aiguière que j’avais faits pour le cardinal.

Sur ces entrefaites, survint un vieux gentilhomme ferrarais, passionné pour les arts, nommé messer Alfonso de’ Trotti. Malheureusement il avait un caractère fort exagéré, et était du nombre de ces gens difficiles à contenter, mais qui, une fois qu’ils ont vu une chose à leur goût, se la représentent si belle qu’ils pensent ne pouvoir jamais en rencontrer une autre capable de leur plaire de même. Lorsque ce messer Alfonso arriva, messer Alberto, qui était présent, lui dit : — « Je suis fâché que vous soyez venu si tard, car le bassin et l’aiguière, que nous envoyons en France au cardinal, sont déjà emballés. » — Messer Alfonso répondit qu’il ne se souciait nullement de les voir ; puis il envoya un de ses serviteurs chercher chez lui une aiguière délicatement travaillée en terre blanche de Faenza. Pendant que le valet exécutait cette commission, messer Alfonso dit à messer Alberto : — « Il faut que je vous apprenne pourquoi je ne suis plus curieux de jamais voir de vases : c’est qu’un jour je vis un vase antique en argent d’une beauté si merveilleuse que l’imagination humaine ne saurait se figurer rien d’aussi parfait. Je ne tiens point à en voir d’autres, afin de ne point gâter le délicieux sou-