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ment pour que tu te souviennes que ce lézard que tu aperçois dans le feu est une salamandre, animal qu’aucune personne connue n’a jamais vu. » — Là-dessus, il m’embrassa et me donna quelques quattrini.

Mon père commença à m’enseigner la flûte et la musique vocale. Bien que je fusse à cet âge où les bambins s’amusent encore avec un sifflet ou quelque autre jouet du même genre, ces leçons me causaient un déplaisir inexprimable : ce n’était donc que par pure obéissance que je chantais et jouais de la flûte[1].

À cette époque, mon père faisait d’admirables orgues en bois, les clavecins les meilleurs et les plus beaux qu’on eût jamais vus, des violes, des luths et des harpes d’une beauté et d’une perfection rares. Il était ingénieur et il excellait dans l’art de construire les ponts, les moulins à foulons et toutes sortes d’instruments et de machines. Il fut le premier qui travaillât bien l’ivoire. Mais, comme son talent sur la flûte avait peut-être été la première cause de sa liaison avec ma mère, il s’en occupait plus que de raison, si bien que les fifres de la Seigneurie le prièrent de jouer avec eux. Il le fit d’abord pour son plaisir ; puis, cédant aux vives sollicitations dont on l’accablait, il consentit à entrer dans leur compagnie. Laurent de Médicis et Pierre, son fils, qui tous deux lui voulaient beaucoup de bien, voyant que pour le fifre il abandonnait son talent et son art, lui enlevèrent cette place. Mon père en fut très-mécontent et se trouva grièvement molesté. Il retourna

  1. La dernière phrase de ce paragraphe, écrite en marge du manuscrit original, a remplacé le passage suivant qu’on a pu déchiffrer malgré les ratures : « Il logea dans un cabinet de sa boutique Francesco dell’ Aiole, grand organiste, excellent musicien et habile compositeur. Cet Aiole m’enseignait le chant et la composition. Mon père et mon frère, me trouvant de grandes dispositions, fondaient sur moi de hautes espérances. Quant à moi, je ne m’occupais de musique qu’avec toute la répugnance imaginable. Je ne me plaisais qu’à dessiner, à modeler en terre, et à d’autres études du même genre. Cela m’était du reste très-facile, parce que mon père avait été très-bon dessinateur et possédait une foule de beaux talents.  » L. L.