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LIVRE DEUXIÈME.

pressenti les sinistres prédictions du charlatan, il lui dit qu’elle n’aurait aucun mal, et qu’elle se servirait très-bien de sa main droite ; que les deux derniers doigts seraient seulement un peu plus faibles que les autres, mais qu’elle n’en éprouverait pas la moindre gêne. Il entreprit donc cette cure, et, au bout de peu de jours, il se disposa à enlever la carie des petits os. Le père désira que j’assistasse à cette opération. Maestro Jacomo avait pris de gros instruments avec lesquels il faisait peu d’ouvrage, et causait beaucoup de mal à la patiente. Je lui dis de s’arrêter et de m’attendre un demi-quart d’heure. Je courus aussitôt à la boutique, où je fabriquai un petit instrument d’acier très-fin et recourbé, qui coupait comme un rasoir. Dès que je l’eus remis au chirurgien, il commença à opérer avec tant de facilité, que la malade ne ressentait aucune douleur ; bientôt tout fut fini. Ce petit service, et d’autres motifs inspirèrent au digne Raffaello tant d’affection pour moi, qu’il semblait m’aimer plus que ses propres enfants.

J’étais alors étroitement lié avec un clerc de la chambre, nommé messer Giovanni Gaddi. Cet homme était passionné pour les arts, bien qu’il ne possédât lui-même aucun talent. Messer Giovanni, Grec d’une érudition extraordinaire ; messer Lodovico di Fano, autre savant ; messer Antonio Allegretti et le jeune messer Annibal Caro faisaient parti de sa société, où l’excellent peintre Bastiano de Venise[1] et moi étions aussi admis. Nous nous réunissions presque

  1. Sebastiano Luciano naquit à Venise en 1485, et mourut en 1547. Il abandonna l’école de Giovan Bellini pour celle du Giorgione. Il fut en grande estime à Rome, où Agostino Chigi l’appela et le chargea de décorer son palais. Michel-Ange l’aida de ses conseils et de ses dessins. Guidé et soutenu par ce divin maître, Sebastiano serait probablement sorti victorieux de la lutte qu’il entreprit contre Raphaël ; mais, enrichi par la libéralité de Clément VII, il négligea son art pour mener joyeuse vie. Il n’a pas moins laissé plusieurs chefs-d’œuvre, où il se montre le digne rival des Giorgione, des Titien, des Tintoret. — Voy. Vasari, Vie de Sebastiano del Piombo, t. V.