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d’autre visage que le tien dans cette maison ? » — « Non ! que le diable t’étrangle ! » répondit-elle. — « C’est ce qui t’arrivera avant deux heures d’ici, » — lui répliquai-je d’une voix forte. Une voisine sortit au bruit de la dispute, et me dit que mon père et toute ma famille étaient morts de la peste. Comme je m’en doutais, ma douleur fut moins grande. La voisine ajouta que le fléau avait seulement épargné ma jeune sœur Liperata, qui avait été recueillie par une sainte femme nommée Mona Andréa dei Bellacci.

Je me dirigeai alors vers une hôtellerie, mais je rencontrai en chemin Giovanni Rigogli, un de mes plus intimes amis, qui m’emmena chez lui. Nous nous rendîmes ensuite sur la place, où j’appris que mon frère était vivant. J’allai le trouver chez un de ses amis nommé Bertino Aldobrandi. Comme chacun de nous avait reçu la nouvelle de la mort de l’autre, nous nous fîmes des caresses extraordinaires, puis mon frère me prit la main et me dit en riant : — « Maintenant, frère, je vais te mener où tu n’imaginerais jamais… chez notre sœur Liperata, que j’ai remariée et qui te croit mort. » — Tout en cheminant, nous nous racontâmes l’un à l’autre nos aventures. Lorsque nous fûmes arrivés, ma vue inattendue jeta ma sœur dans un tel transport de joie et d’étonnement, qu’elle tomba en pâmoison entre mes bras. Cet accident étant arrivé sans qu’une seule parole eût été prononcée, le mari de Liperata n’aurait certainement pas cru que je fusse son frère, si Cecchino n’eût pas été présent à la scène. Enfin, Cecchino expliqua tout, et donna à l’évanouie des soins qui la rappelèrent bientôt à elle. Après avoir un peu pleuré son père, sa sœur, son mari et un petit enfant qu’elle avait perdu, elle songea à préparer le souper. De toute la soirée on ne parla plus de mort, mais de mille choses gaies et folles comme à une noce : aussi notre repas fut-il des plus agréables.