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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

je saisis une mèche, et, avec l’aide de quelques hommes plus calmes, je braquai plusieurs sacres et fauconneaux aux endroits nécessaires, et je tuai beaucoup de monde à l’ennemi. Si je n’avais pas pris ce parti, les assiégeants, qui le matin étaient entrés dans Rome, auraient marché droit au château, et ils auraient pu facilement s’en emparer, car l’artillerie ne leur faisait aucun mal. Je continuai de tirer ; aussi maints cardinaux et maints seigneurs ne m’épargnèrent-ils pas les bénédictions et les encouragements. Je ne reculai donc devant rien pour faire de mon mieux : il me suffit de dire que le matin je sauvai le château et que je ramenai les autres bombardiers à leur devoir. Je restai a l’œuvre toute la journée.

Le soir, pendant que l’armée entrait dans Rome, par le quartier des Trasteverins, le pape conféra le commandement de tous les bombardiers à un grand seigneur romain, que l’on appelait messer Antonio Santa-Croce. La première chose que fit ce gentilhomme fut de venir à moi ; il m’accabla de compliments, et me confia cinq excellentes pièces d’artillerie qui étaient placées au sommet du château, précisément à un endroit que l’on nomme l’Agnolo, et qui donne à la fois sur les Prati et sur Rome. Messer Antonio mit sous mes ordres les hommes nécessaires pour manœuvrer mes pièces, puis il me paya d’avance, m’approvisionna de pain et de vin, et me pria de continuer comme j’avais commencé. J’avais peut-être plus de dispositions pour ce métier que pour celui d’orfèvre : cette besogne me plaisait au point que je m’en acquittais mieux que de mes travaux accoutumés.

La nuit étant arrivée, et les ennemis s’étant rendus définitivement maîtres de Rome, je fus témoin d’un de ces spectacles extraordinaires dont j’ai toujours été avide, je veux parler de l’incendie que les gens qui n’étaient point dans le château n’ont pu voir ni imaginer. Je ne m’arrê-