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j’aie connu ; il s’appelait Rameau, était neveu du célèbre musicien, avait été mon camarade au collége, et avait pris pour moi une amitié qui ne s’est jamais démentie, ni de sa part ni de la mienne. Ce personnage, l’homme le plus extraordinaire de notre temps, était né avec un talent naturel dans plus d’un genre, que le défaut d’assiette de son esprit ne lui permit jamais de cultiver. Je ne puis comparer son genre de plaisanterie qu’à celui que déploie le docteur Sterne dans son Voyage sentimental. Les saillies de Rameau étaient des saillies d’instinct d’un genre si particulier, qu’il est nécessaire de les peindre pour essayer de les rendre. Ce n’étaient point des bons mots, c’étaient des traits qui semblaient partir de la plus profonde connaissance du cœur humain. Sa physionomie, qui était vraiment burlesque, ajoutait un piquant extraordinaire à ces saillies, d’autant moins attendues de sa part, que, d’habitude, il ne faisait que déraisonner. Ce personnage, né musicien, autant et plus peut-être que son oncle, ne put jamais s’enfoncer dans les profondeurs de l’art ; mais il était né plein de chant et avait l’étrange facilité d’en trouver, impromptu, de l’agréable et de l’expressif, sur quelques paroles qu’on voulût lui donner ; seulement il eût fallu qu’un véritable artiste