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elle se levoit, madame de Montespan l’arrêta, charmée qu’elle eût pénétré le mystère. La conversation n’en fut que plus vive après, et elles se dirent sans doute, dans un genre différent, l’équivalent de ce que Ninon avoit dit du billet de La Châtre[1].

On peut juger, par cet échantillon, que le Roi n’étoit pas incapable de délicatesse, et que madame de Montespan n’étoit pas en droit de lui reprocher, comme elle lui reprocha une fois, de n’être point amoureux d’elle, mais de se croire seulement redevable au public d’être aimé de la plus belle femme de son royaume. Il est vrai que le Roi n’étoit point l’homme du monde le plus fidèle en amour, et qu’il a eu, pendant son commerce avec madame de Montespan, quelques autres aventures galantes dont elle se soucioit peu, et elle n’en parloit que par humeur ou pour se divertir.

Je ne sais pourtant si madame de Soubise lui fut aussi indifférente[2], quoiqu’elle parût ne pas s’en

  1. * M. de La Châtre avait exigé de mademoiselle de Lenclos un billet comme quoi elle lui seroit fidèle pendant son absence ; et, étant avec un autre, dans le moment le plus vif, elle s’écria : « Ah ! le bon billet qu’a La Châtre. »
  2. Anne de Rohan-Chabot, princesse de Soubise, fut pendant quelque temps la maîtresse de Louis XIV. Après qu’elle eut été nommée dame du palais, « le roi, dit Saint-Simon, ne fut pas longtemps sans en être épris. Tout s’use : l’humeur de madame de Montespan le fatiguoit ; au plus fort de sa faveur, il avoit des passades ailleurs, et lui avoit même donné des rivales. Celle-ci sut bien se conduire ; Bontemps porta les paroles, le secret extrême fut exigé et la frayeur de M. de Soubise fort exagérée. La maréchale de Rochefort, accoutumée au métier, fut choisie pour confidente. Elle donnoit les rendez-vous chez