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cesse du sang, d’un caractère entièrement opposé au sien, aussi vive et entreprenante qu’il étoit doux et tranquille. Cette princesse abusa de sa douceur elle secoua bientôt le joug qu’une éducation peut-être trop sévère lui avoit imposé : elle dédaigna de faire sa cour au Roi pour tenir la sienne à Sceaux, où, par sa dépense, elle ruina monsieur son mari, lequel approuvoit ou n’osoit s’opposer à ses volontés. Le Roi lui en parla, mais inutilement et voyant enfin que ses représentations ne servoient qu’à faire souffrir intérieurement un fils qu’il aimoit, il prit le parti du silence, et le laissa croupir dans son aveuglement et sa foiblesse.

Je me souviens, à propos du mariage de M. le duc du Maine, que le Roi, qui pensoit toujours juste, auroit désiré que les princes légitimés ne se fussent jamais mariés. Ces gens-là, disoit-il à madame de Maintenon, ne se devroient jamais marier. Mais M. le duc du Maine ayant voulu l’être, cette même sagesse du Roi auroit fait du moins qu’il auroit choisi une fille d’une des grandes maisons du royaume, sans les persécutions de M. le Prince, qui regardoit ces sortes d’alliances comme la fortune de la sienne. Je sais même que le Roi avoit eu dessein de choisir mademoiselle d’Uzès, et qu’il étoit sur le point de le déclarer, lorsque M. de Barbezieux vint lui faire part de son mariage avec elle, ce qui fit que le Roi n’y songea pas davantage. Tout est conjoncture dans cette vie, disoit le maréchal de Clairambault, et la destinée de mademoiselle d’Uzès en est une preuve.