Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt d’une rivale aussi dangereuse par la beauté que peu redoutable par l’esprit.

Madame de Fontanges joignoit à ce peu d’esprit des idées romanesques, que l’éducation de la province et les louanges dues à sa beauté lui avoient inspirées ; et, dans la vérité, le Roi n’a jamais été attaché qu’à sa figure ; il étoit même honteux lorsqu’elle parloit et qu’ils n’étoient pas tête à tête. On s’accoutume à la beauté ; mais on ne s’accoutume point à la sottise[1] tournée du côté du faux, surtout lorsqu’on vit en même temps avec des gens de l’esprit et du caractère de madame de Montespan, à qui les moindres ridicules n’échappoient pas, et qui savoit si bien les faire sentir aux autres par ce tour unique à la maison de Mortemart. Cependant madame de Fontanges aima véritablement le Roi, et elle répondit un jour à madame de Maintenon, qui l’exhortoit à se guérir d’une passion qui ne pouvoit plus faire que son malheur : Vous me parlez de quitter une passion, comme on parle de quitter un habit[2].

Je me souviens aussi d’avoir souvent entendu parler de madame de La Vallière[3]. On sait qu’elle a

  1. « La Fontange était une petite bête, mais elle avait un fort bon cœur et elle était belle comme un ange. (Princesse Palatine, Lettre du 8 avril 1718.)
  2. Cette réponse naïve de madame de Fontanges caractérise parfaitement madame de Maintenon, qui parlait toujours le langage de la froide raison, jamais celui du cœur.
  3. Françoise-Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de La Vallière (née en 1614. morte en 1710), était fille d’honneur de la duchesse d’Orléans, Henriette d’Angleterre, lorsque Louis XIV s’attacha à elle.