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buvoient presque jamais, ou du moins ce n’étoit que de l’eau rougie. Je me souviens, à propos de la maréchale et de son goût pour le vin, d’avoir ouï raconter que se regardant au miroir et se trouvant le nez rouge, elle se dit à elle-même : Mais, où est-ce que j’ai pris ce nez-là ? et que M. Matha de Bourdeille, qui étoit derrière elle, répondit entre bas et haut Au buffet.

Ce même Matha[1] étoit un garçon d’esprit infiniment naturel, et par là de la meilleure compagnie du monde. Ce fut lui qui, voyant la maréchale d’Albret dans une grande affliction sur la mort ou de son père ou de son frère, et qui dans sa douleur ne vouloit point prendre de nourriture, lui dit : Avez-vous résolu, madame, de ne manger de votre vie ? s’il est ainsi, vous avez raison ; mais si vous avez à manger un

    beaucoup de grandes dames, entre autres, madame de Montespan et ses filles. (Cf. Lettres de la princesse Palatine.)

  1. Charles de Bourdeille, comte de Matha, appartenait à une famille illustrée par l’écrivain Brantôme et par Jean de Matha, fondateur de l’ordre des Trinitaires. Il est dit dans les Mémoires de Gramanont que Matha « étoit plein de franchise et de probité dans toutes ses manières, agréable par sa figure et plus encore par le caractère de son esprit ; il l’avoit simple et naturel ; mais le discernement et la délicatesse des plus fins et des plus déliés. » Le dernier éditeur des Mémoires, M. G. Brunet, remarque à ce sujet que Matha figure pour sept mille écus d’arrérages de pensions dans les Demandes des princes et des seigneurs qui ont pris les armes avec le Parlement et le peuple de Paris, document important pour l’histoire de la Fronde, réimprimé par M. C. Moreau dans son édition des Courriers de la Fronde.

    Il est encore question de Matha dans les Mémoires de Mademoiselle et dans les Lettres de madame de Maintenon. Celle-ci nous apprend qu’il mourut sans confession en 1674.