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reine mère un ordre pour retirer cette enfant de leurs mains.

Madame de Neuillan voulut faire par là sa cour à la Reine ; mais son avarice[1] la fit bientôt repentir de s’être chargée d’une demoiselle sans bien, et elle chercha à s’en défaire à quelque prix que ce fût. C’est dans ce dessein qu’elle l’amena à Paris, et qu’elle la mit dans un couvent, où elle se fit catholique, après une longue résistance pour sa jeunesse ; car je crois qu’elle n’avoit pas encore quatorze ans faits.

Je me souviens, à propos de cette conversion, d’avoir entendu dire à madame de Maintenon, qu’étant convaincue sur les articles principaux de la religion, elle résistoit encore, et ne vouloit se convertir qu’à condition qu’on ne l’obligeât pas de croire que sa tante qui étoit morte, et qu’elle avoit vu vivre dans sa religion comme une sainte, fût damnée.

Après que madame de Neuillan eut fait made-.

  1. « C’étoit l’avarice même, écrit Saint-Simon. Elle ne put se résoudre à donner du pain à madame de Maintenon sans en tirer quelque service ; elle la chargea donc de la clef de son grenier pour donner le foin et l’avoine par compte, et l’aller voir manger à ses chevaux. » Parvenue aux faite des grandeurs, madame de Maintenon ne rougissait pas de raconter les misères de son enfance, et de rappeler la domesticité dont l’avait honorée une parente sans cœur. Ses propres écrits confirment sur ce point le témoignage de Saint-Simon « On nous plaquoit, dit-elle, un masque sur le nez, car on avoit peur que nous ne nous hâlassions ; on nous mettoit au bras un petit panier où étoit notre déjeûner avec un petit livre des quatrains de Pibrac, dont on nous donnoit quelques pages à apprendre par jour ; avec cela on nous mettoit une grande gaule dans la main, et on nous chargeoit d’empêcher que les dindons n’allassent où ils ne devoient pas aller. » (Conseils et Instructions aux Dames de Saint-Cyr)