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À Paris, ce 18 avril 1727.

Je suis sensible, comme je dois, madame, à toutes les bontés que vous me marquez dans la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et je n’aurais pas manqué d’aller dès aujourd’hui vous en témoigner ma vive reconnoissance si je ne retournois pas à Versailles aussitôt après mon dîné. Les sentimens favorables pour moi que vous avez sucés presque avec le lait auprès d’une personne dont la mémoire me sera toujours chère et respectable, vous font naître sur mon compte des idées trop flatteuses. J’ai quarante ans plus que le roi, madame, et je regarde comme un miracle qu’avec une telle disproportion d’âge, il veuille bien me souffrir sans peut-être me prendre pour un vieux fol ; ainsi je dois penser à ne point le rebuter de moi ; il n’aura jamais certainement de sujet ni plus fidèle, ni plus jaloux de sa gloire, mais il n’en aura aussi jamais de moins curieux de jouer de ces rôles qui, par leur faux éclat, font tourner la tête a tout le monde. En quelque place qu’on soit on peut dire les vérités, il n’est pas besoin pour cela d’autre caractère que celui d’honnête homme, et c’est le seul que je professe ; ne croyant point que le dérangement apporté aux intentions du feu roi m’ait affranchi des lois qu’il m’avait imposées en me chargeant de l’éducation de ce qu’il nous laissait de plus précieux.

Je suis donc présentement, madame, dans une situation fort douce pour moi et pour mes enfants ; mon goût et ma raison me donnent une répugnance invincible sur les choses que je me figure que vous craignez de confier au papier. Ne m’en méprisez pas davantage, je vous prie, et si vous me blâmez, ne croyez pas, du moins, que je pêche par pusillanimité. Honorez-moi, madame, de la continuation de vos bontés, j’ose vous assurer que je ne m’en rendrai jamais indigne.

L.-A. de BOURBON.

Le duc du Maine, que la faveur du grand roi vieillissant avait élevé si haut et que la Régence avait brutalement humilié, jusqu’à le dépouiller de son titre de prince du sang, voulait, avec juste rai-