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elle fit pitié ; car je ne sais par quelle fatalité madame sa tante eut tant de peine à l’établir. Rien cependant ne lui manquoit, beauté, esprit, agrémens ; et madame de Montespan, quoiqu’elle ne l’aimât pas, ne l’a jamais blâmée que sur ce qu’elle n’avoit pas, disoit-elle, l’air assez noble. Quant au duc d’Elbeuf, on sait l’usage qu’il a fait de sa grande naissance, d’un courage qui en étoit digne, d’une figure aimable[1], et d’un esprit auquel il ne manquoit que de savoir mieux profiter de ces grands et rares avantages de la nature. Il a passé sa jeunesse à être le fléau de toutes les familles par ses mauvais procédés avec les femmes, et par se vanter souvent de faveurs qu’il n’avoit pas reçues. Comme il n’y avoit pas moyen de mettre dans son catalogue celles de madame sa femme, il semble qu’il ait voulu s’en dédommager par les discours qu’il en a tenus, et par une conduite fort injuste à son égard.

Madame de Maintenon conserva avec le duc d’Elbeuf une liberté qu’elle avoit prise dans la maison de madame de Montespan, où on ne l’appeloit en badinant que le goujat, pour marquer la vie qu’il menoit et la compagnie qu’il voyoit ; et elle lui a fait souvent des réprimandes aussi inutiles que bien reçues. Le Roi avoit du foible pour ce prince ; il lui parloit avec bonté, lui pardonnoit ses fautes, et ne lui a presque jamais rien refusé de ce qu’il lui

  1. « C’étoit un homme, dit Saint-Simon, dont l’esprit audacieux se plaisoit à des scènes éclatantes, et que sa figure, sa naissance et les bontés du roi avoient solidement gâté. »