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veuve du prince de Turenne, dernier mort. Les discours du public, et la mauvaise conduite effective de la personne ne l’arrêtèrent pas[1] ; elle pensa ce que madame Cornuel en dit alors que ce seroit un grand mariage dans un siècle[2].

  1. Ils n’arrêtèrent pas non plus M. de Soubise : « Il regarda ce grand mariage comme la plus solide base de sa branche. Il avoit de bonnes raisons pour n’être pas difficile au choix : la beauté de sa femme l’avoit fait prince et gouverneur de province, avec espérance de plus encore. La richesse d’une belle-fille, de quelque réputation qu’elle fût, lui parut mériter le mépris du qu’en dira-t-on. » (Saint-Simon)
  2. Les Mémoires de Saint-Simon confirment l’anecdote racontée par madame de Caylus. « Il y avoit, dit-il, une vieille bourgeoise au Marais, chez qui son esprit et la mode avoit toujours attiré la meilleure compagnie de la cour et de la ville ; elle s’appeloit madame Cornuel et M. de Soubise étoit son ami. Il alla donc lui apprendre le mariage qu’il venoit de conclure, tout engoué de la naissance et des grands biens qui s’y trouvoient joints. Ho Monsieur, lui répondit la bonne femme qui se mouroit et qui mourut deux jours après, que voilà grand et bon mariage pour dans soixante ou quatre-vingts ans d’ici ! »

    Anne Bigot, dame Cornuel, jouit au dix-septième siècle d’une grande notoriété, grâce aux bons mots et aux fines réparties dont elle possédait le secret. Durant plus de quatre-vingts ans elle charma par l’allure ingénieuse de sa conversation les meilleurs salons de l’époque. L’épitaphe que l’on composa pour elle, consacrait le souvenir de ses agréments :


    Dans ses mœurs, quelle politesse !
    Quel tour, quelle délicatesse
    Éclatait dans tous ses discours !
    Ce sel tant vanté de la Grèce,
    En faisait l’assaisonnement ;
    Et malgré la froide vieillesse,
    Son esprit léger et charmant
    Eut de la brillante jeunesse
    Tout l’éclat et tout l’engouement.


    On peut consulter sur madame Cornuel et ses bons mots les Lettres de madame de Sévigné, les Historiettes de Tallemant des Réaux et une étude de M. Livet, dans son histoire des Précieux et Précieuses. (Paris, Didier.)