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esprit ou la froideur de son tempérament lui faisoit regarder comme des foiblesses honteuses. Uniquement occupée des intérêts et de la grandeur de sa maison, tout ce qui ne s’opposoit pas à ses vues lui étoit indifférent.

Pour juger si madame de Soubise s’est conduite selon ses maximes, il suffit de considérer l’état présent de cette maison, et de la comparer à ce qu’elle étoit quand elle y est entrée. À peine M. de Soubise avoit-il alors six mille livres de rente.

Madame de Soubise a soutenu son caractère, et suivi les mêmes idées dans le mariage de monsieur son fils avec l’héritière de la maison de Ventadour[1],

  1. Hercule-Mériadec de Rohan, prince de Soubise, épousa en 1694 Anne-Geneviève de Levis-Ventadour, veuve du prince de Turenne, fils aîné de M. de Bouillon. « Pendant son premier mariage, au dire de Saint-Simon, elle avoit eu le temps de se faire connoitre par tant de galanterie publique qu’aucune femme ne la voyoit, et que les chansons qui avoient mouché s’étoient chantées en Flandre dans l’armée où le prince de Rohan ne l’avoit pas épargnée, et souvent et publiquement chantée. » Après son second mariage on fit encore de nouvelles chansons sur son compte. Voici un spécimen de l’année 1697 :

    Rohan paraît fort tranquille
    De sa femme, et ne dit rien ;
    Je connais certain blondin
    Qui va disant par la ville,
    Qu’on a beau la tant garder,
    Qu’elle n’est pas plus facile.


    À la date de 1699 on lui prête à elle-même ce couplet impudent :


    Si j’aime l’amour et le vin,
    De quoi va-t-on se mettre en peine ?…
    Se peut-il qu’on ait oublié
    Comme j’en usais étant fille ?
    Tout le monde l’a publié
    J’ai les vertus de ma famille.