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120 PROSES NON RECUEILLIES Demeurée seule enfin avec les juges du puritain condamné, elle n'a point de paroles (où trouver des paroles sans la voix que l'épouvante vient d'éteindre ?). Elle ne parle pas, elle se meurt; et cette vue attire enfin la pitié du noble rival, moins heureux alors que celui que l'on va fusiller. Il sauve Henri Morton, qui porte bientôt (elle va le croire du moins) la famine au château de sa grand' mère, et à elle l'intolérable douleur de lui devoir l'infortune de ceux qu'elle vénère. “ C'est dans sa fuite qu'elle retrouve ce cher coupable, se cachant près d'elle et la protégeant dans l'ombre. C'est encore du haut du petit cheval d'Espagne, amaigri comme tout ce qu'a flétri la famine, qu'elle ouvre sa pensée à celui qu'elle feint de ne pas reconnaître, et laisse tomber ces belles paroles si simples, plus solennelles que tous les reproches de la haine: “Dites-leur d'épargner le sang innocent, et je leur pardonne. Mais puis-je approuver une rébellion qui a fait qu'un homme formé pour être “l'ornement de sa patrie se trouve aujourd'hui le compagnon d'hypocrites. “ séditieux, le frère d'armes de bandits et de meurtriers? Si jamais vous “ trouvez dans votre camp un homme qui ressemble à ce portrait, dites-lui que “Edith Bellenden a versé plus de larmes sur le déshonneur dont il a couvert “son nom, que sur les malheurs de sa propre famille, et qu'elle a souffert avec “plus de courage la famine qui a creusé ses joues que la peine de cœur “ causée par la conduite de celui dont elle vous parle “. Et la maigreur de son charmant visage entrevu aux pâles rayons de la nuit ne prouve que trop que ses souffrances ont été réelles. Ce n'est plus qu'au fond d'une humble ferme; après les désastres de la guerre civile, que l'on revoit la brillante apparition du premier volume. Présentement tout est morne et réel pour miss Edith: son sort, comme son caractère toujours tendre, a pris la teinte des temps où elle passe. Ses joues décolorées sont baignées de larmes au moment où, vaincue par la reconnaissance, la justice peut-être, elle consent par son silence à devenir le prix des services rendus à sa pauvre aïeule par la fidèle et loyale Evandale, dont tout le mérite n'a pas effleuré l'image de Henri banni! Ces tableaux si simples, si grands, si graves, serrent le cœur d'une longue tristesse; ils montrent la vie telle qu'elle est souvent une lutte silencieuse avec des sentiments qui tuent sans que l'on ose s'avouer, même tout bas, qu'ils existent encore. Marceline Valmore CT