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« Je suis tout à fait ennemie de la contrainte, et cependant toute ma vie est une contrainte perpétuelle. Si je me rens maîtresse de mes paroles et de mes actions, je ne le suis pas de mes airs. Je change souvent de visage, et d’heure à autre, suivant les humeurs où je suis ; le chagrin y fait une horrible impression ; la fierté et le dédain y paroissent trop et ne s’y placent pas bien ; la langueur y est assez touchante ; mais la gayeté y met un air ouvert et riant qui me sied. Toutes les passions se font lire dans mes yeux ; leurs mouvements donneroient des connoissances de ce que je voudrois qu’on sçût aux personnes les plus stupides ; ils ont un beau langage pour qui les entend.

« Je suis née indépendante et hautaine, aimant la gloire jusqu’à l’excès. C’est aussi de ce caractère que j’ai pris une fermeté qui m’a empêchée de me laisser abatre par mes malheurs. La grandeur de mon courage me fait vaincre tout ce que je crois mal, et oposer une résolution au-dessus de mon sexe contre les ataques les plus outrageuses de la fortune. Ma vie est une philosophie continuelle et une morale vivante ; j’ai beaucoup d’équité ; je ne connois ni le ressentiment des injures ni la vengeance qu’on en peut tirer. Le malheur de mon ennemi triomphe de toute ma colère, et dans cet état il n’y a point d’office qu’il ne reçût de ma générosité ; aussi je puis craindre la médisance, mais je n’appréhende point la juste censure. Exacte dans ma vertu, je me pardonnerois moins volontiers une faute que les autres ne feroient. Sévère contre moi-même, je tâche tous les jours à me corriger ; je cherche moi-même mon estime, et je ne me l’accorde qu’à bon titre. Je suis promte et quelquefois trop ocupée de mes malheurs. Je montre une méchante humeur à ceux qui m’a-