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ses arches, mal assurées et chancelantes, te font craindre qu’il ne s’affaisse pour ne plus se relever, et qu’il ne tombe dans le marais profond. Puisse, au gré de tes vœux, s’élever à sa place un pont solide, que les bonds sacrés des Saliens eux-mêmes ne puissent ébranler ; mais avant, fais-moi jouir d’un spectacle qui me fera bien rire ! Je voudrais qu’un mien voisin tombât de ton pont dans la vase, qu’il s’y embourbât de la tête aux pieds, dans l’endroit le plus infect, le plus dégoûtant de tout le marais, là où le gouffre est le plus profond. L’homme en question est un sot qui n’a pas plus de sens qu’un marmot de deux mois qui dort bercé dans les bras de son père. Il est marié depuis peu à une jolie femme, à la fleur de l’âge, plus tendre que le chevreau qui vient de naître, et dont la garde réclame plus de soins que les raisins déjà mûrs ; en bien ! il la laissé folâtrer à sa fantaisie, il s’en soucie comme d’un poil de sa barbe, et, couché près d’elle, il reste immobile à sa place. Semblable à la souche qui gît dans un fossé, abattue par la hache du bûcheron, tel, et aussi insensible aux charmes de la belle que si elle n’était pas à ses côtés, mon nigaud ne voit rien, n’entend rien ; il ignore même quel est son sexe, et s’il existe ou non. Voilà l’homme que je voudrais voir tomber de ton pont la tête la première, pour secouer, s’il est possible, sa stupide léthargie. Puisse-t-il laisser son engourdissement dans la fange visqueuse du marais, comme la mule laisse ses fers dans un épais bourbier !