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donne — le démon alors prend forme de lumière… » Le P. Chardon voit sans nul doute dans cette simplicité qui ne vise qu’à dire ce qui est, la marque d’une « plume malhabile » à exprimer : de grandes pensées. Il traduit : « En cela le démon s’accommode au désir trop curieux et trop mignard de ceux qui ont une inclination profonde pour les consolations et pour les visions : il prépare le lasset pour les tromper sur les alléchements qui ont gagné leur esprit ; il mêle le poison de sa malice dans le lait savoureux des délectations spirituelles qu’elles sucent en mon sein aymable où elles veulent en avoir un attachement ininterrompu. » Le sens n’est même pas très exactement rendu. Les lignes si précises de la pensée s’estompent et s’embuent de brouillard sous cette cascade de métaphores. Nous sommes portés à juger qu’il entre un peu d’afféterie et beaucoup de pompe dans cet art d’écrire. Une réflexion toutefois suffirait à ôter toute rigueur à cette observation ; c’est que des esprits de même race et de même langue ont dû se délecter à des traits de style qui nous font sourire. Pour apprécier cette œuvre, il importe donc de sortir de la variabilité des goûts et des humeurs. Un principe vaut, une règle s’impose ici, c’est l’obligation pour la traduction de demeurer fidèle à l’original. Vue de ce point, la version du P. Chardon laisse l’impression qui demeure, et tenace, que si Catherine eût connu la langue française et eût dicté son livre en la langue française, sa psychologie demeurant la même, elle n’eût pas, même en 1647, parlé tout à fait le même français que son traducteur.

Ces réserves d’ailleurs n’atteignent pas tout l’ouvrage. Ces exubérances se montrent ici et là ; ce sont des saillies d’une virtuosité littéraire qui ne se peut contenir. Malgré ces assaisonnements, la langue de la traduction reste savoureuse. Sous l’épiderme des mots, à travers l’organisme des phrases circule un esprit de