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les quatre fils aymon

Entre Charles et ceux qui le servent, entre lui et cette féodalité généreuse et loyale dont il est le suzerain, le désaccord est fondamental, parce qu’il est indifférent aux motifs moraux qui les guident. Roland, le héros de son armée, a beau lui répéter :

Renaus a droit vers vos, et vos tort, en non Dé ![1]


rien n’émeut cette âme faite de haine et de cruauté. Quand Renaud, sur la foi de Naimes et d’Ogier, était venu au camp pour essayer de fléchir l’empereur, celui-ci l’eût fait pendre sans la révolte unanime de ses barons. Un jour vient où, dans son fol entêtement, il refuse de faire la paix pour sauver la vie de Richard de Normandie ; son autorité paraît décidément insupportable, et Roland lui déclare :

Ge m’an vois sans congié, par Deu qui ne menti.
Ogier, que feres vos ? venres vos avec mi ?
Si laisson cest viellart qui ci est assoti.[2]


Ogier, Olivier, Naimes, tous les Pairs « de la terre absolue » font abattre les tentes ; leurs hommes partent avec eux,

Plus de .XXX. mil homes est li oz decreüe.


Seul le comte Ganelon, le chef des traîtres, reste auprès du roi.

Ce prince vindicatif, déloyal, n’a rien de commun avec Charlemagne que le nom et les attributs du pouvoir. C’est le témoin déguisé d’une autre époque.

Dans le Beuves d’Aigremont, Charles est entouré d’une famille de traîtres, Ganelon, Griffon d’Autefeuille, Fouques de Morillon. Malgré leurs noms épiques et leurs titres féodaux, ce sont des sicaires, se chargeant des besognes viles. Tout le long du poème l’on retrouve l’odieuse race. Dans les Ardennes, c’est Hervieux qui entreprend de livrer par trahison à Charles le château de Montessor ; plus tard, quand aucun baron ne consent à présider au supplice de Richard, Ripes de Ribemont offre ses services. À tel autre endroit, Pinabel fait l’office

  1. P. 320, v. 29.
  2. P. 395, v. 2, sq.