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les quatre fils aymon

partie au reste. Telle est l’impression que l’on ressent d’abord, impression peut-être trompeuse, mais que justifie l’imperfection de la transition de ce premier récit aux suivants. En lui-même le Beuves d’Aigremont paraît le débris d’un chant très ancien datant de l’époque la plus farouche du Moyen Âge. Néanmoins deux des traits essentiels de cette partie subsisteront dans le reste du poème. L’un est la cruauté inconsciente de Charlemagne. Non seulement il tolère la trahison, mais il la récompense :

Se m’en poes vengier, je vos donrai gent don.

Et quand Grifon d’Autefeuille lui apporte la tête de Beuves, il ne marque aucun remords :

Amis, ce dist li rois, ci a molt bel present.

Au milieu de sa cour, entouré de princes, d’évêques, de barons, c’est l’empereur « au vis fier », le roi « de la terre honorée ». Mais qu’il parle, que ses rancunes s’éveillent, et il ne prononce plus que des mots atroces. Dans le Beuves d’Aigremont, il fait savoir au duc que s’il ne lui vient rendre hommage, il sera pendu, et Aymes, frère de Beuves, ayant protesté, il le menace de le faire pendre, le chasse et lui annonce qu’il saisira ses terres.

Ce caractère ne varie point. L’obstination de ses rancunes ne subit jamais de relâche. Que Richard ou Maugis tombent entre ses mains, il répète avec acharnement : « Richard, je vous pendrai… Maugis, je vous pendrai ! »

Lorsque enfin la paix est faite et que le pauvre destrier Bayard lui est remis, il fait précipiter le fidèle serviteur de Renaud dans la Meuse et en éprouve une grande joie :

Baiart, ce dist li rois, or ai quant que demant.
Je ne t’ai pas menti, tenu t’ai convenant.

Les Pairs de France sont indignés. Turpin ne peut comprendre une cruauté qui poursuit ainsi « une beste mue ». Olivier s’écrie : « Il est fou ! » et Roland approuve. Il n’y eut aucun des Pairs qui

Ne plorast por Baiart, lo bon cheval corrant.
Qui qu’en demenast duel, Charles en fu joiant.