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Olivier, Naimes et Ogier, l’archevêque Turpin, Estous, Richard de Normandie, chacun avec le caractère que l’épopée lui a donné. Mais derrière les paladins loyaux, on discerne la famille méchante de Ganelon, la race des traîtres qui suggèrent au roi les décisions cruelles et s’offrent sans scrupule pour en assurer l’exécution, descendant jusqu’au métier de bourreaux. Tout le personnel de nos Chansons de geste prend part plus ou moins à l’action. Nulle épopée n’est plus large, plus vraie, plus riche en situations dramatiques.

Dans ce tableau de la vie féodale, Taine a noté des traces de brutalité : « l’idée raisonnable de l’utile ou du juste n’avait qu’une faible prise sur les hommes ; à chaque instant, l’explosion des instincts farouches venait déchirer le tissu régulier dans lequel toute société tend à s’enfermer ».

Il faut distinguer. Les personnages de Beuves d’Aigremont et de Charlemagne représentent, on en aura plus loin l’explication, une période vraiment primitive et farouche. Mais ces deux personnages font exception au milieu de l’élite chevaleresque et courtoise. Sans doute, quand ces âmes fortes croient leur honneur blessé ou leur droit violé, elles s’abandonnent à leur passion, mais l’origine de leur colère est dans un sentiment raisonnable et juste. Dans l’immense narration, bien rares sont les moments où Renaud perd la maîtrise de lui-même, et ces moments sont courts. Il suffit que le roi Ys réclame sa protection, pour qu’il oublie l’odieuse trahison dont il a été victime et qu’il vole au secours de son beau-frère, tout indigne qu’il est de sa fidélité. Ces hommes du Moyen Âge faisaient bon marché de leur vie et de celles des autres. Ils sont prompts à dégainer les épées fameuses, Durandal, Joyeuse, Courtaine, Floberge, pour soutenir leur droit ou leur parole. En cela, ils obéissent à une certaine conception de la morale qui nous paraît contestable, mais qui n’a rien de mesquin ou de vil ; leurs allures, Taine a raison de le dire, dérangeraient le bel ordre de la société moderne ; mais tenons compte de la différence des siècles. Ces chevaliers d’une trempe héroïque, toujours prêts à aller sur le pré, professent un idéal très digne d’une race saine et vaillante, car en temps normal ils sont fidèles à leur suzerain, loyaux et courtois envers tous, respectueux de la femme et des faibles. La Chanson de Roland