Page:Castellion - Traité des hérétiques.pdf/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
TRAITÉ DES HÉRÉTIQUES

doctrine, lequel jà soit qu’il fût juste et innocent, néanmoins il a toujours pardonné aux iniques, et méchants, et a commandé qu’on leur pardonne, même jusques à septante fois sept fois.

Je ne vois point comment nous pourrons retenir le nom de Chrétien, si nous n’ensuivons sa clémence et douceur. Que si même nous étions innocents, si le devrions nous ensuivre : Combien plutôt donc, quand nous sommes hommes couverts de tant de péchés ? Certes quand j’examine ma vie, je vois que mes péchés sont si grands, et en si grand nombre, que je ne pense point que je puisse jamais obtenir pardon du Seigneur Dieu, si je suis prêt à condamner ainsi les autres. Il faut donc que chacun s’examine soi-même, épluche, et sonde diligemment sa conscience et pèse à bon escient toutes ses pensées, ses paroles, et ses faits, puis il verra, et se connaîtra facilement être tel, qu’il ne peut tirer hors le fétu de l’œil de son frère, qu’il n’ait premièrement tiré la poutre de son œil. Par quoi sera beaucoup le plus sûr, qu’en une si grande multitude de péchés, desquels nous sommes tous chargés, un chacun retourne à soi-même, et soit soigneux de corriger sa vie, et non pas de condamner les autres. Cette licence de juger, laquelle règne aujourd’hui, et remplit tout de sang, m’a contraint (ô très doux Prince) de m’efforcer de tout mon pouvoir d’étancher ce sang, en épandant lequel on pèche si grièvement, (j’entends le sang de ceux-là, qu’on appelle hérétiques) lequel nom est aujourd’hui rendu si infâme, si détestable, et horrible, que si quelqu’un désire que son ennemi