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l’apprendre, et mirent entre les actes de leur charité celui de ne balayer pour l’avenir que les cachots de ceux qui les maltraiteroient. Après le départ du médecin Laurent me demanda pardon en m’aſſurant que tous les autres priſonniers ſe portoient bien malgré que leurs chambres (il les appelloit chambres) fuſſent balayées tous les jours ; mais qu’il alloit les éclairer d’abord ſur cet article important, car en qualité de chrétien il nous regardoit tous comme ſes enfans. La ſaignée d’ailleurs m’étoit néceſſaire : elle m’a rendu le ſomeil, et m’a guéri des contractions ſpasmodiques qui m’épouvantoient. Je me ſuis fait ſaigner dans la ſuite tous les quarante jours.

J’avois gagné un grand point, mais le tems de commencer mon ouvrage n’étoit pas encore arrivé : le froid étoit très-fort, et mes mains ne pouvoient empoigner l’eſponton ſans gêler : ſi j’euſſe travaillé avec des gants j’en aurois uſé un tous les jours, et ſi l’on eût vu ce même gant on auroit pu ſe douter de quelque choſe : mon entrepriſe étoit d’une eſpèce qui exigeoit un eſprit prévoyant, et déterminé à éviter tout ce qui pouvoit l’être facilement, et hardi, et intrépide pour ſe