Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme qu’à faire des ſottiſes. Il croyoit qu’on retourneroit pour lui porter à manger, et un lit, mais je l’ai déſabuſé, et j’ai deviné.

Je lui ai donné à manger, mais il n’a pu rien avaler : il me parla de ſa maîtreſſe toute la journée toujours pleurant : il me faiſoit la plus grande pitié ; et cette pauvre fille étoit déjà vis à vis de moi plus que juſtifiée. Si les inquiſiteurs d’état ſe fuſſent trouvés inviſibles dans mon cachot préſens à tout ce que ce pauvre garçon m’a dit, je ſuis ſûr encore aujourd’hui qu’ils l’auroient non ſeulement renvoyé, mais marié ſans faire attention ni aux lois ni aux uſages : je lui ai donné ma paillaſſe ; car je n’ai pas voulu d’un jeune homme amoureux dans mon lit. Il ne connoiſſoit pas la grandeur de ſa faute, ni le beſoin que le comte avoit qu’on lui donnât une punition ſecrète pour ſauver l’honneur de ſa famille.

Le lendemain on lui porta une paillaſſe, et un manger de quinze ſous que le tribunal lui paſſoit par charité. J’ai dit au gardien que mon dîner ſuffiſoit pour tous les deux, et qu’il pouvoit employer ce que le tribunal paſſoit à ce garçon pour lui faire célébrer