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Le lendemain à la pointe du jour, le gardien parut, fit faire mon lit, balayer, et nettoyer : lorsqu’un de ſes archers me préſenta de l’eau pour me laver les mains, le gardien qui vit que je voulois ſortir, m’avertit que cela ne m’étoit pas permis. J’ai vu deux livres, et je me ſuis abſtenu de les ouvrir pour me garantir d’un premier mouvement peut-être de dédain, qu’il n’auroit pas manqué de référer. Après m’avoir laiſſé ma mangeaille, et m’avoir coupé deux citrons il partit.

Ayant à peine mangé ma ſoupe chaude je mis mes livres contre la lumière du trou, et j’ai vu, qu’il ne me ſeroit pas difficile de lire. Un de ces livres avoit pour titre la cité myſtique de Sœur Marie de Jéſus appellée d’Agreda : je n’en avois nulle idée. Le ſecond étoit d’un jéſuite dont j’ai oublié le nom : il établiſſoit une nouvelle adoration particulière directe au cœur de notre ſeigneur J. C. De toutes les parties humaines de notre divin médiateur c’étoit celle-là que ſelon cet auteur on devoit particulièrement adorer : idée ſingulière d’un fou ignorant, dont je n’ai pas pu ſouffrir la lecture, car le cœur ne me paroiſſoit pas un viſcère plus reſpectable du