Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après le départ du gardien, pour voir un peu de jour, et pour ne pas manger à l’obſcur, car toute eſpèce de lumière artificielle étoit défendue, j’ai placé ma table près du trou par où entroit la petite lueur qui venoit de la lucarne. J’étois à jeun préciſément depuis quarante cinq heures, mais je n’ai pu avaler que du riz. J’ai paſſé la journée ſans fureur ſur mon fauteuil ne ſouffrant que l’ennui, déſirant le lendemain, et m’accommodant déjà l’eſprit à la lecture prétendue convenable qu’on m’avoit annoncée. J’ai paſſé la nuit ſans dormir au bruit que les rats bondiſſans faiſoient dans le galetas, et en compagnie de l’horloge de S. Marc qui me paroiſſoit frapper dans mon cachot. Une eſpèce de tourment, dont je trouverai dans mes lecteurs peu de juges me faiſoit une peine inſoutenable : c’étoit un million de puces qui s’en donnoient à cœur joie ſur tout mon corps, avides de mon ſang, et de ma peau qu’elles perçoient avec un acharnement dont je n’avois point d’idée : ces inſectes me donnoient des convulſions, me cauſoient des contractions ſpasmodiques dans les nerfs ; ils m’empoiſonnoient le ſang.