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adieu, puisque rien ne m’auroit aſſuré que j’aurois pu y vivre à mon retour libre de crainte, et de la même qui m’auroit induit à partir dans ce moment là. En diſant cela je l’ai embraſſé, je n’ai pas voulu l’argent offert, et je l’ai ſupplié de ne pas vouloir avec ſon inquiétude troubler la paix de mon ame. Fais-moi du moins le plaiſir, dit-il, de ne pas aller dormir cette nuit dans ton caſin. Je me ſuis diſpenſé de cela auſſi, et j’ai eu tort : cette prière me venoit de la bonté même ; et c’eſt par une raiſon des plus frivoles que je n’y ai pas fait attention. Ce jour là étoit la fête de S. Jacques, dont je porte le nom ; et le lendemain on chomoit Ste. Anne, nom de la fille que j’aimois à cette époque là : j’avois écrit que nous irions déjeûner enſemble à Caſtello. Le même jour le tailleur m’avoit apporté un habit de taffetas, dont la bordure en dentelle d’argent étoit de l’invention de ma belle. Je n’ai pas cru de devoir ſacrifier ce rendez-vous à une prudente précaution, et à la tendreſſe de mon bienfaicteur. Je n’étois cependant pas méchant, ni ingrat, mais étourdi, et ſenſible au plaiſir, que je me figurois d’avance toujours plus grand : un engagement pareil à cet âge