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cheval. Elle appella alors ſa mère, belle femme auſſi ; et après lui avoir dit à l’oreille qui j’étois, elle ajouta qu’il falloit me donner à ſouper, et que c’étoit à elle à panſer mes bleſſures. Je me ſuis laiſſé conduire, ſans faire plus de façons, dans une chambre, où j’ai vu un lit, qui avoit bonne apparence, et la jeune femme me quitta, diſant qu’elle ne vouloit pas me gêner.

Cette jolie femme d’archer n’avoit pas l’eſprit de ſon métier, car rien n’avoit plus l’air d’un conte que l’hiſtoire que je lui avois faite. À cheval, avec des bas blancs ! À la chaſſe en habit de taffetas, et ſans manteau de drap ! Dieu ſait combien ſon mari doit s’être moqué d’elle à ſon retour. Sa mère eut ſoin de moi avec toute la politeſſe, que j’aurois pu prétendre chez des perſonnes de la première diſtinction. Elle prit un ton de mère, et pour ſauver ſa dignité en ſoignant mes bleſſures, elle m’appella ſon fils. Si mon ame eût été tranquille, je lui aurois donné des marques non équivoques de ma politeſſe et de ma reconnoiſſance ; mais l’endroit, où j’étois, et le rôle dangéreux que je jouois, m’occupoient trop ſérieuſement.