Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Meſtre, et même en Angleterre, ſi vous voulez ; mais ſi vous ne m’euſſiez pas demandé, ſi nous y ſerons avant quatorze heures, vous ſeriez reſté bien attrapé ; car nous allions à Fuſine. Ouï ouï Monſieur nous y ſerons, car nous allons à ſeconde d’eau, et de vent.

J’ai alors regardé derrière moi tout le beau canal, et ne voyant pas un ſeul bâteau, admirant la plus belle journée qu’on pût ſouhaiter, les premiers rayons d’un ſuperbe Soleil qui ſortoit de l’horizon, les deux jeunes barcaroli, qui ramoient à vogue forcée, et réfléchiſſant en même tems à la cruelle nuit que j’avois paſſée, à l’endroit où j’étois dans la journée précédente, et à toutes les combinaiſons, qui me furent favorables, le ſentiment s’eſt emparé de mon ame, qui s’éleva à Dieu miſéricordieux ſécouant les reſſorts de ma reconnoiſſance, m’attendriſſant avec une force extraordinaire, et tellement que mes larmes s’ouvrirent ſoudain le chemin le plus ample pour ſoulager mon cœur que la joie exceſſive étouffoit, je ſanglotois, je pleurois comme un enfant qu’on mène par force à l’école.

Mon adorable compagnon, qui jusqu’alors n’avoit parlé que pour donner raiſon